Les élections présidentielle et législatives en Turquie se dérouleront le dimanche 14 mai dans un contexte économique et politique difficile, caractérisé par un tremblement de terre survenu au mois de février dans les régions frontalières du pays. Le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, a connu la campagne électorale la plus ardue depuis son arrivée au pouvoir en 2003, confronté à une large alliance d’opposition dirigée par Kemal Kiliçdaroglu. Le président turc est élu au scrutin majoritaire à deux tours pour un mandat de cinq ans. S’il ne dépasse pas les 50 % des voix au premier tour, un second tour aura lieu le 28 mai.
Une troisième candidature controversée
Remaniée par Recep Tayyip Erdogan en 2017, la Constitution limite la présidence à deux mandats. Cependant, le chef d’État sortant a justifié sa candidature à un troisième mandat par la modification de la Loi fondamentale, qui aurait remis les compteurs à zéro, et par la déclenchement anticipé des élections présidentielles et législatives, initialement prévues en juin. Cette dérogation au plafond de deux mandats est prévue uniquement si le changement de date du scrutin est validé par les deux tiers du Parlement, ce qui n’a pas été le cas. Erdogan a utilisé le passage au présidentialisme pour le décréter et sa candidature a été validée par le Haut Conseil électoral.
L’objectif d’Erdogan : rester au pouvoir
Recep Tayyip Erdogan se présente sous les couleurs de l’Alliance populaire, qui regroupe l’AKP (Parti de la justice et du développement, conservateur) et le MHP (Parti d’action nationaliste, ultranationaliste). Après avoir été premier ministre de 2003 à 2014, il a été élu président de la République en 2014 et réélu en 2018. S’il peut compter sur quelque 30 % d’irréductibles, il multiplie les promesses de campagne ciblant les femmes et les jeunes – hausses des retraites, constructions de logements, factures d’énergie allégées – et les invectives, accusant ses rivaux de collusion avec les « terroristes » du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), vilipendant leurs liens avec l’Occident et ses « complots », et les présentant comme des « pro-LGBT » – une obsession – qui veulent « détruire la famille ». Il bénéficie également du soutien de mouvements plus modestes tels que le Parti de la prospérité (RP), le Parti de la cause libre (Hüda Par), le Parti de la grande union (BBP) ou le Parti démocratique de gauche (DSP), qui se sont associés à la coalition pour les législatives. Le chef de l’Etat sortant était crédité jeudi de 43,7 % des intentions de vote par l’institut Konda, une estimation à prendre avec précaution en raison de l’absence de méthode de comptabilité harmonisée et de la proximité souvent constatée avec des formations politiques.
La « Table des Six » pour en finir avec l’ère Erdogan
L’opposition est emmenée par Kemal Kiliçdaroglu, candidat du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) fondé par Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne. Il a réussi à regrouper autour de lui une coalition plurielle de six partis appelée la « Table des Six ». Pour lancer sa candidature, M. Kiliçdaroglu a rapidement déminé ce qui pouvait apparaître comme un obstacle à sa campagne, avec son appartenance à l’alévisme, branche hétérodoxe de l’islam qu’il a évoquée dans une de ses vidéos, devenue virale sur les réseaux sociaux. En effet, la Turquie est majoritairement sunnite et le CHP est historiquement hostile au foulard islamique.
Un programme d’opposition pour revenir à un système parlementaire
L’opposition promet de revenir à un système parlementaire dans lequel les pouvoirs de l’exécutif seront confiés à un premier ministre élu par le Parlement. Le chef de l’État sera élu pour un mandat unique de sept ans. Elle promet une « justice indépendante et impartiale » et la libération de nombreux prisonniers. La coalition, qui compte en son sein Le Bon Parti, une influence formation nationaliste, n’a toutefois fait aucune proposition concrète pour résoudre la question kurde. Kemal Kiliçdaroglu veut inscrire le droit de porter le voile dans la loi afin de rassurer les électrices qui redoutent que son parti, historiquement hostile au foulard, ne revienne sur certains acquis obtenus sous Erdogan.
Un renouvellement du Parlement attendu
Les électeurs doivent renouveler les 600 sièges de la Grande Assemblée nationale turque. Celle-ci a vu ses pouvoirs limités par la réforme constitutionnelle adoptée en 2017, qui a instauré un régime présidentiel et donné au chef de l’État la possibilité de gouverner par décret. Une majorité d’opposition resterait un foyer de résistance idéologique si Erdogan demeure au pouvoir, tandis qu’une victoire de l’AKP et de ses alliés à la Grande Assemblée bloquerait les projets constitutionnels d’une coalition d’opposition élue à la présidence. Les députés sont élus par scrutin proportionnel plurinominal à listes bloquées pour une durée de cinq ans.
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