Triste tigre, de Neige Sinno, est un livre qui ne laisse pas indifférent. Son sujet est bouleversant et son écriture, simple et directe, permet aux lecteurs de se tenir à distance de la violence. Néanmoins, l’autrice se méfie des livres qui abordent des sujets difficiles et ne croit pas en la thérapie par la littérature. Et pour cause, la littérature ne l’a pas sauvée des viols répétés qu’elle a subis de la part de son beau-père pendant des années.
Malgré cela, Neige Sinno écrit et choisit la voie du témoignage, de la non-fiction, pour raconter ce qui lui est arrivé, sans certitude d’avoir raison. Elle craint que son livre ne soit réduit à des émissions de radio sur l’inceste, où on lui demandera de résumer dans des termes simples ce qu’elle a écrit, pour ne pas avoir à le lire. Cette projection semble inévitable, mais cette hésitation et cette incertitude font toute la qualité de ce livre qui tremble de partout.
Triste tigre ne cherche pas à révéler une vérité cachée. Neige Sinno a choisi la voie de la justice pour rompre le silence. En 2000, elle porte plainte avec sa mère contre son beau-père, qui est condamné à neuf ans de prison. Elle a agi pour protéger les autres enfants, en particulier sa petite sœur, qui avait atteint l’âge qu’elle avait lorsqu’il a commencé à abuser d’elle.
La protection des enfants, s’adresser à eux et parler pour eux, est au cœur du travail d’écriture de Neige Sinno. Un chapitre de son livre s’intitule « Comment j’ai parlé à ma fille ». Parler à un enfant, ce n’est pas seulement lui enseigner froidement les règles du consentement, c’est aussi répondre à toutes les questions qu’il pose : pourquoi tu n’as rien dit ? Pourquoi tu n’as pas fui ? La parole envers un enfant passe aussi par les contes qui apprennent à dire non, comme Les Cygnes sauvages, Le Lapin sur la Lune, Peau d’âne, Hansel et Gretel, Cendrillon.
Neige Sinno, qui porte un prénom inspiré des contes de Grimm, remet en question la notion de résilience. La survivante survit, mais n’oublie jamais. La réalité vécue est si présente qu’elle bloque les autres souvenirs, entravant ainsi le travail régulier de la mémoire.
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