Titre : Les conséquences des incivilités quotidiennes sur les policiers français et l’importance d’une nouvelle approche de management
Depuis la triste mort de Nahel M. et les émeutes qui en ont découlé, la police française fait l’objet de nombreuses critiques. La violence à laquelle ses services sont confrontés est souvent invoquée, surtout par la droite, pour expliquer, voire excuser, les comportements violents des forces de l’ordre. Cependant, nos recherches mettent en lumière les conséquences mesurables des incivilités quotidiennes sur la santé des policiers et leur sentiment d’appartenance à un collectif. Ces facteurs entraînent un désengagement moral fréquent vis-à-vis de leur métier, ce qui ne peut être ignoré par les autorités publiques.
La montée des incivilités à l’égard des représentants de l’autorité est un phénomène bien documenté. Les agressions contre les pompiers – qui sont a priori moins exposés à la vindicte populaire que les policiers – témoignent de l’ampleur de ce problème. Ces agressions ont explosé depuis 2018, ce qui a conduit à l’autorisation expérimentale de l’utilisation de caméras lors des interventions. Cependant, les violences quotidiennes de faible intensité telles que les insultes et les provocations sont généralement négligées par les institutions, alors que nos recherches démontrent les dommages psychologiques importants qu’elles causent en provoquant un épuisement émotionnel progressif chez les policiers.
Dans une profession majoritairement masculine, imprégnée de valeurs viriles, cet épuisement émotionnel suscite peu de demandes d’aide, mais nous démontrons qu’il entraîne des déviances, notamment une augmentation des addictions et des comportements à risque. La vie professionnelle en pâtit également, avec un suivi moins rigoureux des procédures, des mises en danger personnelles ainsi que la mise en danger de la vie d’autrui.
Parallèlement, nous constatons chez les policiers un renforcement de leur identité professionnelle. Celui-ci joue dans deux sens : d’une part, il favorise un esprit de corps bénéfique en termes de cohésion interne, de soutien mutuel et de résilience. D’autre part, le sentiment d’être perçu de manière négative par la population et d’être constamment en danger crée une distance entre les policiers, qui se perçoivent comme un groupe distinct et solidaire, et le reste de la société. Cette polarisation peut compromettre leur capacité à agir en lien avec les populations qu’ils sont censés protéger.
Les dérapages et les comportements non éthiques qui résultent de ces tensions, bien qu’ils restent marginaux, ont un impact sur l’ensemble de l’organisation policière. En effet, les collègues témoins de ces déviances ressentent un sentiment de honte difficile à supporter, ce qui suscite chez bon nombre d’entre eux une prise de distance psychique pour se protéger. Ainsi, un policier peut justifier le recours à une force excessive en se référant à des normes professionnelles déformées, qu’il considère comme une réponse nécessaire à une menace perçue.
Pour prévenir ces dérives, nous estimons que le mode de management de la police doit être revu à plusieurs niveaux. Il est crucial de mettre en place des mesures de prévention des incivilités quotidiennes, d’offrir un soutien psychologique adéquat aux policiers et de porter une réflexion sur les normes professionnelles en vigueur. La formation continue des policiers et une meilleure communication interservices sont également des éléments essentiels pour améliorer la situation et favoriser une relation de confiance avec la population.
Mots-clés : Nahel M., émeutes, police française, incivilités, violence, santé des policiers, sentiment d’appartenance, désengagement moral, agressions, pompiers, caméras, épuisement émotionnel, déviances, addictions, comportements à risque, identité professionnelle, cohésion interne, soutien mutuel, résilience, polarisation, dérapages, comportements non éthiques, honte, force excessive, menace perçue, prévention, soutien psychologique, normes professionnelles, formation continue, communication interservices, relation de confiance.