Lorsqu’elle s’est retrouvée à parapher son contrat sur un parking, « sous le soleil brûlant », en ce mois d’août 2022, Corine Personne a immédiatement pressenti que la situation n’était pas idéale. Expotrans, la société qui venait de remporter l’appel d’offres pour le transport d’enfants en situation de handicap à Dole (Jura), reprenait les chauffeurs du précédent prestataire de services, comme le veut la loi, renouvelée tous les trois ans.
À 61 ans, les 600 euros mensuels qu’elle gagnait pour 15 heures de travail par semaine à conduire les enfants venaient compléter sa pension d’invalidité. Jusque-là, tout se passait pour le mieux. Cependant, ses inquiétudes se sont rapidement avérées fondées : le garagiste refusait de prendre son véhicule en raison de factures impayées, les salaires étaient payés en retard, et elle ne connaissait presque aucun de ses collègues. Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’à travers la France, d’autres chauffeurs traversaient au même moment les mêmes désagréments.
« Plutôt que d’être payé le 10, nous ne touchions nos salaires qu’à la fin du mois. Cela laissait le temps à mon découvert de s’accumuler… », raconte Giuseppe Peloquin, 22 ans, employé d’Expotrans à Laval, en Mayenne, qui avait également signé son contrat sur le capot d’une voiture. Il avait accepté ces 15 heures pour compléter ses 1 050 euros d’allocations chômage, mais s’est retrouvé en difficulté lorsqu’il a été hospitalisé une semaine en mars : il a découvert que Expotrans ne payait pas la mutuelle, et se retrouve aujourd’hui avec une dette de 1 600 euros de frais hospitaliers à régler.
Le non-remboursement de ses lunettes a aussi alerté Danielle Cottier courant 2023. Cette retraitée de 68 ans, dont les 15 heures hebdomadaires complétaient sa petite pension, s’indigne : « On ne peut pas jouer avec les gens de cette manière ! ». En février et mars, les salaires ne sont plus versés du tout. Dans les Ardennes, Joël (prénom fictif), 52 ans, ancien commercial qui avait pris ce travail en attendant mieux, se retrouve dans une situation absurde : « Pôle Emploi déduisait cette supposée paie de mon allocation alors que je ne touchais rien ! » Son contrat lui a été envoyé par mail, et il a dû lui-même récupérer le véhicule chez la conductrice précédente : « Une dame qui m’avait mis en garde. Elle m’a donné les clés, la carte essence et c’était parti… C’est incroyable, cette entreprise ! ».
Juste avant les vacances de Pâques, Danielle Cottier a suggéré aux chauffeurs qu’elle connaissait en Mayenne de bloquer leurs véhicules. Le conseil régional a dû trouver en urgence des solutions pour les enfants sans moyen de transport, en sollicitant notamment les entreprises ayant perdu l’appel d’offres. Les médias locaux ont relayé le mouvement, et des chauffeurs se sont fait entendre dans la Marne, la Manche, ou en Ille-et-Vilaine.