dimanche 8 septembre 2024
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Les cantines extraordinaires de Diane Dupré: réunir pour mieux vivre

Diane Dupré de la Tour, écrivaine et créatrice des Petites Cantines, résidant à Paris le 7 mai 2024.

Il semble que dans ma jeunesse, j’étais une enfant pleine de vie et dotée d’un langage coloré. Le quartier parisien de Jussieu où j’ai grandi était mon univers – les commerçants, l’école, le square… Ma famille était assez variée : un père aventurier passionné par les récits d’Henry de Monfreid du 19ème siècle, une mère polyvalente, biologiste de formation, passionnée d’archéologie et pionnière dans le domaine de l’alimentation végétarienne, alliant aspects pratiques et scientifiques qui ont abouti à un livre de recettes. Elle a même suivi une formation en cuisine pour enseigner l’hygiène alimentaire et l’analyse sensorielle. À l’époque, je pensais ne pas avoir de lien avec tout ça – j’étais plutôt en quête de ma propre identité.

Plus tard, lors d’une formation en « hygiène alimentaire », j’ai vu un signe de la vie. À l’âge de 14 ans, j’ai rencontré Marcelle, une vieille dame solitaire vivant à côté de la place Maubert, proposée par une association pour des visites régulières. Son accueil m’a profondément touchée. Elle m’a initiée à une autre forme de relation, basée sur l’écoute et le partage de douceurs accompagnées d’un verre de jus de fruits. Elle m’a permis de repenser la relation entre aidant et aidé. Marcelle a laissé une empreinte indélébile en moi.

Ma vie m’a menée à des études en économie, puis au journalisme, et à la rencontre de Nathanaël. Après un séjour en République tchèque, nous nous sommes installés à Lyon. Malgré les apparences, notre relation s’est avérée toxique, marquée par douze ans de violences conjugales. Après son décès dans un accident de voiture, je me suis retrouvée seule avec nos trois enfants. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que malgré mon intégration sociale, l’isolement pouvait venir de moi. Les voisins ont alors pris soin de nous en concoctant des plats simples, frais et réconfortants, comme ce flan aux asperges, un moment partagé avec mes enfants. C’est ainsi que j’ai compris la valeur d’un repas, au-delà de son aspect nutritif, comme source d’émancipation, d’autonomie et de revitalisation, à l’opposé de toute forme d’emprise.

Le projet des Petites Cantines, que j’ai lancé avec Etienne Thouvenot, est devenu le pilier de ma reconstruction. Ces lieux ouverts à tous pour cuisiner et partager un repas dans un climat de confiance vont à l’encontre des normes sociales en proposant une tarification libre et en mélangeant les participants de manière aléatoire. Cela va à l’encontre de notre besoin de contrôle et de productivité, nous exposant à la vulnérabilité. En réalité, c’est la société qui résiste au flux de la vie !

Aujourd’hui, il existe quatorze Petites Cantines en France et vingt-six autres en cours de développement, chacune étant un espace où la singularité de chacun peut s’exprimer. Nos actions ne visent pas à combattre la solitude, parfois libératrice loin du tumulte ambiant, mais à lutter contre l’isolement en favorisant le sentiment d’appartenance. Voilà la puissance incroyable de la cuisine et du partage d’un repas.

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