Repiquage du riz dans la banlieue de Bangalore, dans le sud de l’Inde, en juillet 2022. MANJUNATH KIRAN / AFP
Le prix du riz qui s’est envolé à son plus haut niveau depuis quinze ans, après les restrictions imposées par l’Inde sur les exportations de cette céréale, préfigure la façon dont le changement climatique va perturber l’approvisionnement alimentaire mondial, selon des experts.
Les prix du riz ont bondi de 9,8 % en août, annulant les baisses d’autres produits de base, a annoncé la semaine dernière l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). C’est l’annonce en juillet par l’Inde, qui représente 40 % des exportations mondiales de riz, d’une interdiction des ventes de riz non-basmati à l’étranger, qui a mis le feu aux poudres. New Delhi a justifié cette mesure par une flambée des prix du riz sur son marché intérieur provoquée par la géopolitique, le phénomène climatique El Niño et des « conditions climatiques extrêmes ».
Cette année devrait être la plus chaude jamais connue par l’humanité et l’impact du phénomène saisonnier El Niño pourrait encore aggraver la situation. Malgré de graves inondations dans certaines zones du nord de l’Inde, ce mois d’août a été le plus chaud et le plus sec jamais enregistré dans le pays. La mousson, qui apporte jusqu’à 80 % des précipitations annuelles du pays, a été bien inférieure à la normale.
Les restrictions imposées par l’Inde en juillet font suite à un embargo, en septembre, sur les exportations d’une autre variété de riz, aliment essentiel dans certaines régions d’Afrique. Jusqu’à 8 % des exportations mondiales de riz pour 2023/24 pourraient désormais être retirées du marché, selon une analyse de BMI, qui fait partie de l’agence de notation Fitch.
Pour l’instant, la crise a offert une opportunité à la Thaïlande et au Vietnam, les deuxième et troisième exportateurs mondiaux, d’augmenter leurs exportations. Nguyen Nhu Cuong, un responsable du ministère vietnamien de l’agriculture et du développement rural, se félicite d’une « récolte exceptionnelle » et envisage d’augmenter les semis. Mais la sécheresse qui accompagne El Niño pourrait menacer les récoltes, s’inquiète Elyssa Kaur Ludher, du programme sur le changement climatique en Asie du Sud-Est de l’Institut Iseas-Yusof Ishak. « Je pense que la fin de cette année et surtout le début de l’année prochaine seront très, très difficiles », prévient-elle.
El Niño, un phénomène météorologique naturel, dure généralement de neuf à douze mois et devrait se renforcer à la fin de cette année. Avant même les restrictions imposées par l’Inde, son effet faisait grimper les prix à l’exportation du riz, selon BMI. En Thaïlande, les précipitations sont actuellement 18 % inférieures aux prévisions pour la période, a indiqué en septembre l’Office des ressources nationales en eau. Des pluies tardives pourraient encore compenser le déficit, mais l’agence se dit « préoccupée » par une sécheresse provoquée par El Niño.
L’impact porte plutôt sur les prix que sur l’offre, relève Charles Hart, analyste des matières premières agricoles chez Fitch Solutions : « On n’assiste pas à une période de pénurie de riz. » Cette situation est susceptible de ponctionner les stocks reconstitués après la pandémie de Covid-19 et d’inciter les importateurs à obtenir de nouveaux accords et à imposer des limites localement. Les Philippines, important importateur, viennent de signer un accord avec le Vietnam pour stabiliser l’offre, quelques jours après avoir annoncé un plafonnement des prix. Mais pour les plus pauvres, des prix élevés signifient moins de nourriture. « C’est aussi une question de stabilité sociale, c’est une question politique » à laquelle les dirigeants doivent être attentifs, note Elyssa Kaur Ludher.
Le changement climatique peut faire baisser la productivité, avec une baisse des rendements agricoles à mesure que les températures augmentent, mais il augmente également la probabilité d’événements extrêmes comme les inondations de 2022 au Pakistan. « Les marchés mondiaux d’exportation de céréales sont relativement concentrés, de sorte que ce type de risque climatique extrême se concentre sur quelques marchés », ajoute Charles Hart.
En Inde, les autorités doivent développer de meilleurs systèmes d’alerte et de nouveaux modèles de semis, souligne Avantika Goswami, chercheuse sur le changement climatique au Centre pour la science et l’environnement. « Les conditions météorologiques irrégulières sont la nouvelle norme », avertit-elle.
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