La question de savoir si souligner les limites d’un sondage peut être considéré comme diffamatoire a récemment occupé les tribunaux français. En effet, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris devait examiner cette problématique lors d’une affaire opposant l’Institut français d’opinion publique (IFOP) au chercheur Alexandre Dézé, mais l’audience a été annulée deux jours avant la date prévue suite au désistement de l’institut, sans qu’il y ait eu de jugement.
Le litige trouve son origine dans un article du Monde publié le 11 septembre 2020, intitulé « Face à la concurrence, CNews fait le pari d’une parole décomplexée ». Cet article analysait la ligne éditoriale de la chaîne d’information CNews et sa stratégie par rapport à la concurrence, en se basant notamment sur un segment de l’émission « L’Heure des pros », animé par Pascal Praud. Ce dernier consacrait un épisode aux résultats d’une enquête de l’IFOP relayée par Charlie Hebdo, à l’occasion de l’ouverture du procès concernant les attentats de janvier 2015.
Une enquête révélatrice
Intitulée « Droit au blasphème, caricatures, liberté d’expression… Les Français sont-ils encore “Charlie” ? », cette étude a mis en lumière des résultats alarmants, notamment qu’un quart des musulmans de moins de 25 ans ne condamnaient pas les attentats du 7 janvier 2015. Pour réaliser ce sondage, deux échantillons distincts avaient été établis : l’un de 1 020 personnes représentatives de la population française, et un autre de 515 individus se déclarant musulmans. Cette méthode de sélection a soulevé des questions sur la validité des résultats obtenus.
Dans l’article du Monde, Alexandre Dézé, professeur en science politique à l’université de Montpellier et expert en sondages, a critiqué cette étude en affirmant que « avec un échantillon aussi faible, de 515 personnes, ce sondage n’a aucune valeur et ses conclusions sont discutables »
. Il a également reproché au secteur des sondages de s’appuyer sur des méthodologies peu fiables, notant qu’« il existe une faiblesse méthodologique délirante, et, en même temps, une croyance indéboulonnable que ces sondages sont de la science »
.
La plainte pour diffamation
Ces affirmations ont conduit l’IFOP à déposer une plainte pour diffamation contre Dézé. Cependant, l’affaire a pris une tournure inattendue. Quatre ans après les faits, la justice s’est trouvée dans l’impossibilité de trancher, en raison du désistement de l’institut, qui a évoqué un vice de forme. En effet, la plainte avait été déposée par le président du conseil de surveillance de l’IFOP, une personne qui, selon le tribunal, n’avait pas la capacité juridique de le faire.
Dans le cadre de l’audience, la défense a mis en lumière le caractère excessif de cette plainte. Me David Mendel, avocate de M. Dézé, a souligné que « les propos incriminés sont ceux tenus par un spécialiste de la question des sondages »
, rappelant que Dézé est un auteur et conférencier reconnu dans ce domaine, contribuant régulièrement à des publications et à des études en collaboration avec des instituts de sondage, y compris l’IFOP.
Une remise en question nécessaire
Ce cas soulève des interrogations sur la liberté d’expression et la place des critiques dans l’analyse des sondages. Si les sondages sont souvent considérés comme des outils de mesure fiables de l’opinion publique, il est crucial d’évaluer leur méthodologie et leur représentativité. Peut-on réellement faire confiance à des études qui reposent sur des échantillons limités et des méthodes contestées ? La question mérite d’être posée, afin de faire évoluer le débat autour de la recherche d’opinions en France.
En 2022, Alexandre Dézé a tenté de répondre à certaines de ces questions dans son livre intitulé Dix leçons sur les sondages politiques, publié chez De Boeck. Cet ouvrage, qui se veut pédagogique, vise à éclairer le grand public sur les enjeux et les défis que représentent les sondages dans le climat d’information actuel.
À l’heure où la visibilité et l’impact des sondages sur l’opinion publique sont plus cruciaux que jamais, il est essentiel d’instaurer un dialogue constructif sur leur validité et leur interprétation. Les disputes juridiques autour de telles critiques rappellent que même les méthodes de recherche les plus respectées peuvent être sujettes à des révisions et à des débats.
Mots-clés: sondage, diffamation, IFOP, Alexandre Dézé, liberté d’expression, méthodologie, opinion publique, critique, CNews