Annulation des refus d’entrée par le Conseil d’État
La France va-t-elle revoir sa copie en matière de contrôle aux frontières ? Dans une décision du vendredi 2 février, le Conseil d’Etat a annulé la partie du code de l’entrée et du séjour des étrangers qui permet aux forces de l’ordre de prononcer des refus d’entrée aux étrangers arrivés de façon irrégulière « lors de vérifications effectuées à une frontière [intérieure] ». En vertu de ces refus d’entrée, les étrangers sont refoulés immédiatement ou placés plusieurs heures dans des locaux de la police aux frontières avant d’être refoulés.
Rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen en 2015
Dans les faits, cette situation se rencontre, depuis le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen en 2015, à la frontière italienne le plus souvent. Rien que dans le département frontalier des Alpes-Maritimes, d’après les services de la préfecture, plus de 33 000 personnes ont été non-admises en 2023, et près de 1 400 depuis le début de l’année. Une façon pour les autorités de lutter contre le flux de personnes arrivées en Italie par la Méditerranée et qui se destinent notamment à demander l’asile en France ou à rejoindre l’Angleterre ou l’Allemagne.
Décision du Conseil d’État et arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne
La décision du Conseil d’Etat vient répercuter un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 septembre 2023 qui rappelait que si un État peut rétablir des contrôles à ses frontières intérieures et prononcer des refus d’entrée, il doit le faire en vertu des garanties apportées par le droit de l’Union européenne et en particulier par la directive retour de 2008. Ainsi, dit le Conseil d’État, un étranger contrôlé à une frontière intérieure « peut être retenu (…) le temps strictement exigé par l’examen de son droit de circulation ou de séjour », pas plus de vingt-quatre heures, et si une décision d’éloignement est prise à son encontre, il peut éventuellement être placé en rétention administrative en vue de l’exécution de ladite décision.
Fin d’une forme de non-droit et obligation pour l’administration
« Cela signifie la possibilité de bénéficier d’un avocat, d’un interprète, la possibilité pour les associations d’être présentes en rétention, l’accès à un médecin, le droit d’exercer un recours, de faire une demande d’asile…, énumère l’avocat Patrice Spinosi, qui défendait devant le Conseil d’État l’association requérante, Avocats pour la défense des droits des étrangers. C’est la fin d’une forme de non-droit et une obligation pour l’administration d’entrer dans des schémas légaux. » « L’éloignement ne peut plus être immédiat », considère-t-on aussi au Défenseur des droits, qui a produit des observations auprès du Conseil d’État et qui a constaté à la frontière italienne « des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes ». « Il y a un recours systématique à une privation de liberté, dans des conditions non adaptées au public vulnérable. Les refus d’entrée ne font l’objet d’aucun contrôle juridictionnel », y relève-t-on.
Conclusion
Cette décision du Conseil d’État marque un tournant dans la façon dont les refus d’entrée sont gérés aux frontières intérieures françaises, notamment en ce qui concerne les droits des étrangers arrivés de façon irrégulière. Les autorités sont désormais contraintes de respecter les droits fondamentaux des personnes, de limiter la rétention administrative à un maximum de vingt-quatre heures, et d’assurer la possibilité d’exercer un recours en cas de refus d’entrée.
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