À l’Université de Strasbourg, une découverte récente attire l’attention sur une période sombre de l’histoire coloniale. Des restes humains, principalement originaires de la Tanzanie, ont été identifiés, révélant des pratiques de collecte qui remontent à la fin du XIXe siècle, alors que la région faisait partie de l’Empire allemand. Cette identification met en lumière l’ampleur des spoliations coloniales et soulève des questions éthiques majeures sur la gestion et la restitution de ces restes aux communautés d’origine. Cet article examine en détail cette découverte et ses implications historiques et contemporaines.
Identification des restes humains de Tanzanie trouvés à Strasbourg
Les restes humains de 34 individus, majoritairement originaires de la Tanzanie, ont été récemment identifiés à l’Université de Strasbourg (Unistra). Ces restes, qui comprennent notamment 29 crânes, dateraient de la fin du XIXe siècle et proviennent d’une période où la région de l’Alsace faisait partie de l’Empire allemand. C’est August Windenmann, un médecin allemand, qui aurait introduit ces restes dans les collections de ce qui était alors la Kaiser-Wilhelms-Universität en avril 1897.
Les analyses ont permis de découvrir que parmi ces restes, se trouvent ceux de membres du peuple Chagga, dont certains crânes auraient été prélevés dans des espaces funéraires de la région de Moshi. Un crâne en particulier est attribué à un chef de tribu qualifiée d’« insoumise », tandis qu’un autre appartient à une femme âgée du peuple Massaï, potentiellement collecté près d’Aruscha. Un squelette complet identifié représente un homme qui avait été enrôlé comme porteur par les forces allemandes.
Ces découvertes mettent en lumière l’ampleur des pratiques de collecte de restes humains pendant l’époque coloniale, permettant d’ouvrir un dialogue sur les impératifs éthiques actuels et la nécessité de restituer ces restes à leurs communautés d’origine.
Les vestiges de Namibie et leur contexte historique
Concernant la Namibie, deux crânes ont été donnés à l’Université de Strasbourg par le Dr Carl Christian Sick en 1903, avant le début du génocide des Herero en 1904. Cela signifie que ces restes ne sont pas directement liés aux massacres orchestrés par le général Lothar von Trotha. Cependant, il n’est pas exclu qu’ils puissent provenir de conflits antérieurs à ce génocide, qui marquent également l’histoire coloniale allemande en Afrique.
Ces restes humains, bien que peu nombreux, constituent des pièces importantes pour comprendre les pratiques de collecte et les relations coloniales entre l’Allemagne et ses colonies africaines. La Namibie, en particulier, a été le théâtre de nombreux abus et d’une exploitation systématique de ses ressources humaines et naturelles.
L’identification de ces restes soulève des questions éthiques et historiques majeures. Elle incite à une réflexion sur la façon dont ces pièces ont été obtenues et comment elles doivent être traitées aujourd’hui. La restitution des restes aux descendant(e)s des communautés concernées ou leur rapatriement dans leur pays d’origine pourrait constituer une forme de réparation pour les injustices historiques subies.
Le premier génocide du XXe siècle et ses répercussions
L’Allemagne est responsable de ce que beaucoup d’historiens considèrent comme le premier génocide du XXe siècle, ciblant les peuples Herero et Nama en Namibie. Entre 1904 et 1908, au moins 60 000 Herero et 10 000 Nama ont été tués dans une campagne de répression menée sous les ordres du général Lothar von Trotha. Cette campagne de violence a été marquée par des massacres systématiques, des déportations et des conditions de vie inhumaines dans des camps de concentration.
En mai 2021, l’Allemagne a officiellement reconnu ce génocide et s’est engagée à verser 1,1 milliard d’euros d’aide au développement sur trente ans aux descendants de ces tribus. Cette reconnaissance est une étape cruciale dans la reconnaissance des barbaries coloniales et dans les efforts de réconciliation et de réparation. Cette aide vise à soutenir des projets de développement économique, social et culturel dans les communautés touchées par les atrocités commises il y a plus d’un siècle.
Les répercussions de ce génocide sont encore visibles aujourd’hui. Les communautés Herero et Nama continuent de lutter pour une reconnaissance complète et des compensations adéquates. La restitution des restes humains ainsi que d’autres artefacts culturels prélevés durant l’époque coloniale bien qu’importante, ne peut compenser les pertes humaines et culturelles subies. Toutefois, elle contribue à la justice historique et à la mémoire collective.
L’anthropologie anatomique et la collecte de restes humains
La collecte de restes humains au XIXe siècle était une pratique courante dans de nombreux pays, notamment sous l’égide de l’anthropologie anatomique. Cette discipline scientifique visait à comprendre les différences entre les races humaines en se basant sur des caractéristiques physiques, en particulier les crânes et les squelettes. Les universités et les instituts de recherche du monde entier ont ainsi amassé des milliers de restes humains, souvent sans égard pour les droits et la dignité des peuples concernés.
À l’Unistra, cette pratique n’était pas une exception. Les restes humains provenant d’Afrique étaient ramenés dans le cadre d’expéditions coloniales et scientifiques, souvent sans le consentement des communautés locales. Ces collections étaient utilisées pour des études morphologiques, qui étaient censées fournir des preuves « scientifiques » des théories raciales de l’époque.
Aujourd’hui, ces pratiques sont largement critiquées pour leur manque d’éthique et leur contribution à la déshumanisation des peuples colonisés. La compréhension contemporaine de l’anthropologie et des sciences humaines reconnaît les préjudices causés par ces collectes et prône désormais le respect et la restitution des restes humains aux communautés d’origine. L’importance d’un traitement digne et éthique des restes humains est désormais au cœur des débats académiques et politiques.
Projets de restitution des restes humains et législation française
La restitution des restes humains est un sujet de plus en plus pressant en France, particulièrement suite à la promulgation d’une nouvelle loi en 2023. Cette législation permet aux pays d’origine, comme la Tanzanie et la Namibie, de demander le retour des restes humains conservés dans les collections publiques françaises. Cette mesure vise à réparer les injustices historiques et à respecter les droits des communautés concernées.
L’Unistra est prête à coopérer avec les autorités tanzaniennes et namibiennes pour faciliter la restitution des restes identifiés. Mathieu Schneider, vice-président de l’Unistra, a souligné que l’université est consciente de la dimension coloniale et de l’importance de traiter ces questions avec dignité et éthique. La restitution est vue comme un pas crucial vers la réconciliation et la reconnaissance des dommages causés par les pratiques coloniales.
Les processus de restitution nécessitent une collaboration étroite entre les institutions académiques, les gouvernements et les communautés locales. Ils impliquent également des coûts et des logistiques complexes, mais le but ultime est de permettre aux descendants de retrouver une partie de leur histoire et de leur patrimoine. En France, cette initiative est soutenue par des politiques publiques qui cherchent à rectifier les erreurs du passé et à promouvoir un dialogue interculturel respectueux.
Le passé colonial de l’Unistra et ses initiatives récentes
L’Université de Strasbourg (Unistra) n’a pas échappé aux influences coloniales de son temps. Durant la période impériale allemande, l’Alsace faisait partie du Reich wilhelmien, et l’université a abrité de nombreuses collections de restes humains ramenées d’Afrique. Cette histoire complexe est désormais examinée à travers divers projets de recherche et initiatives académiques pour mieux comprendre et contextualiser cet héritage.
Ces dernières années, l’Unistra a pris des mesures significatives pour faire la lumière sur son passé colonial. Par le biais de conférences, de publications et de collaborations internationales, l’université cherche à « traiter ces restes de manière digne et éthique », selon les mots de Mathieu Schneider. Un projet de recherche a été lancé pour enquêter sur les conditions de collecte des restes humains africains, y compris ceux provenant du Cameroun, afin de mieux comprendre cette histoire et ses implications.
L’Unistra a également entrepris un effort d’éducation et de sensibilisation, en incluant des cours sur l’histoire coloniale et en organisant des expositions sur le sujet. Ces actions visent à encourager une réflexion critique sur le passé et à promouvoir une culture de respect et de dignité pour toutes les communautés.
Les initiatives récentes de l’Unistra illustrent une prise de conscience croissante des responsabilités historiques et un engagement à rectifier les injustices coloniales. En ouvrant un dialogue avec les nations africaines concernées et en soutenant la restitution des restes humains, l’université participe à un effort mondial de reconnaissance et de réconciliation.