« Ce soir, les mineurs ne sont pas autorisés à sortir, il y a un couvre-feu en place. »
Âgée de 20 ans, elle quitte la pizzeria en compagnie de ses amies. Elle vient d’être contrôlée par la police nationale, qui effectue des patrouilles, sous le feu des projecteurs médiatiques, aux côtés des autorités préfectorales, dans les rues de Pointe-à-Pitre, lors de cette première soirée de couvre-feu pour les mineurs. Annoncée le 17 avril par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, la mesure est entrée en vigueur le lundi 22 avril. Elle restera en vigueur pour une durée d’un mois
« renouvelable », comme l’a précisé le préfet de la Guadeloupe, Xavier Lefort.
« L’objectif de ce couvre-feu est principalement de protéger les mineurs, à la fois des dangers liés à l’augmentation de la violence [en hausse d’environ 20 % dans les deux communes entre 2023 et 2024], et de les empêcher de se mêler à des actes de délinquance », a expliqué Xavier Lefort.
« Un effectif conséquent d’environ cinquante policiers et gendarmes a été mobilisé dans la ville, selon les déclarations de M. Lefort, dans les quartiers touchés par l’arrêté de couvre-feu.« Le couvre-feu ne s’applique pas à toute la ville, mais concerne également quelques quartiers de la commune voisine, Les Abymes »
, a-t-il précisé. Ces zones ont été sélectionnées en raison d’une « cohérence géographique » mais aussi en fonction des statistiques de la délinquance dans ces endroits – la part des mineurs impliqués dans la délinquance serait passée de 9 % en 2023 à 16 % pour le premier trimestre de cette année, soit une augmentation de 53 % à Pointe-à-Pitre, avec une recrudescence des délits de port et détention d’armes, de vols avec violence, de trafic et consommation de stupéfiants.
La nuit est tombée sur la place de la Victoire, en plein centre, presque déserte en début de soirée. Amanda Albéri s’y promène avec ses deux filles âgées de 7 et 11 ans.
« Ce couvre-feu, c’est à double tranchant : ce sont les enfants qui en subissent les conséquences », déclare-t-elle, reflétant la pensée de nombreuses personnes à Pointe-à-Pitre. Alors que tout le monde reconnaît l’existence d’un problème de sécurité, imputé parfois aux « défaillances des parents » ou aux « étrangers »
, l’efficacité de la mesure est globalement remise en question, jamais présentée comme une solution. En fait, aucun dispositif de ce type n’avait été envisagé parmi les précédents plans d’aide à la jeunesse, notamment celui comprenant 65 mesures annoncé après les émeutes dans l’archipel, fin 2021.
« On nous dit que si il y a un problème d’insécurité en Guadeloupe, c’est la faute des jeunes de moins de 18 ans.
Avec un couvre-feu, tout va mieux »(…) et les politiciens sont rassurés ! », a ironisé Elie Domota, leader du LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon, « Collectif contre l’exploitation outrancière »), après les annonces du ministre de l’Intérieur.
« Cela a le mérite d’exister : cela met en lumière la problématique, mais c’est un peu léger pour réellement répondre aux besoins des familles », souligne Jean-François Arnolin, président de l’association de l’Amical Club Darboussier.