Le Mémorial du génocide de Kigali, le 11 avril 2024. GUILLEM SARTORIO / AFP
La demande des victimes du génocide des Tutsi, visant à faire reconnaître la complicité de la France dans la tragédie rwandaise de 1994, a récemment été rejetée par le tribunal administratif de Paris. Le 14 novembre, cette juridiction a jugé « incompétente » pour traiter ce cas, considérant que les actes incriminés relevaient d’« actes de gouvernement », échappant ainsi à toute enquête judiciaire en raison de la nature des relations diplomatiques et de sécurité internationale engagées entre la France et le Rwanda.
En effet, cette affaire vise à déterminer la nature des décisions prises par l’État français entre 1990 et 1994 concernant la situation au Rwanda, qui ne peuvent, selon le tribunal, être dissociées des relations internationales de la France. La requête, signée par environ vingt victimes et deux associations de défense des droits, a été déposée pour la première fois devant la justice administrative en avril 2023.
Lutte pour la reconnaissance du génocide
Les plaignants soutiennent que l’État français avait les moyens d’éradiquer le génocide et qu’au contraire, il a fourni un soutien ininterrompu aux extrémistes hutu. Lors de l’audience du 24 octobre, l’avocat des victimes, Serge Lewisch, a affirmé : « L’État français pouvait éviter ce génocide : non seulement il n’en a rien fait, mais son soutien politique, diplomatique, militaire aux extrémistes hutu a été continu avant, pendant et après le génocide qu’ils ont commis. »
Cette demande s’accompagne d’une somme conséquente, de 700 millions d’euros, en réparation pour les préjudices subis. Les accusations traitaient également de l’inaction des autorités françaises face à un « traité d’assistance militaire de 1975 à un gouvernement rwandais génocidaire ». Parmi les figures clés citées, l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Hubert Védrine, ainsi que l’amiral Jacques Lanxade, alors chef d’état-major des armées en France, qui aurait, selon les plaignants, « outrepassé ses pouvoirs ».
Contexte de l’opération « Turquoise »
À l’origine de la requête, l’opération militaire française « Turquoise » qui, bien qu’initiée sous l’égide des Nations unies, est contestée par certaines parties qui l’accusent de complicité de génocide. Celles-ci soulignent le fait que des civils tutsis réfugiés dans les collines de Bisesero ont été abandonnés pendant trois jours, entraînant le massacre de centaines d’entre eux par les forces génocidaires, du 27 au 30 juin 1994.
Ce contexte a également été renforcé par le rapport d’une commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert, qui a révélé des « lourdes et accablantes responsabilités » de la France, sans toutefois établir de « complicité » directement liée au génocide. Cette analyse, fondée sur des archives françaises, a suscité de vives réactions, particulièrement parmi les parties civiles.
Des appels à la justice en attente
Le rejet récent du tribunal administratif ne marque pas la fin de cette lutte pour la reconnaissance. Au contraire, il résonne comme un nouvel appel à la mémoire et à la justice pour les victimes, et alimente les débats autour de la position de la France durant cette période tragique de l’histoire. En effet, l’ONU estime que les atrocités commises au Rwanda entre avril et juillet 1994 ont causé plus de 800 000 morts, en majorité dans la minorité tutsi.
Les parties civiles, déçues par le non-lieu en octobre dernier concernant cette affaire, envisagent de faire appel et continuent de faire pression pour que la lumière soit faite sur la responsabilité de l’État français dans le soutien aux groupes ayant perpétré ces actes de violence.
La décision du tribunal administratif souligne les complexités juridiques entourant les questions de responsabilité étatique dans des contextes de conflit. Les différentes parties impliquées continuent d’affronter les voies du droit pour faire entendre leurs voix. La lutte pour la vérité et la justice demeure une priorité pour tous ceux qui cherchent à rendre hommage aux vies perdues et à promouvoir un avenir où de telles atrocités ne se reproduisent plus.
Mots-clés: génocide, Rwanda, France, Tribunal administratif, Tutsi, action militaire, responsabilité, mémoire, justice, 1994.