mercredi 26 mars 2025

Luc Rémont : « Pas de leçon de patriotisme industriel à recevoir »

Dans un contexte où les défis énergétiques et les tensions entre acteurs publics et privés occupent le devant de la scène, l’éviction de Luc Rémont de la direction d’EDF fait couler beaucoup d’encre. L’ancien dirigeant, après seulement vingt-huit mois à la tête de l’entreprise, prend la parole pour défendre son bilan et souligner les obstacles rencontrés dans la gestion d’un groupe stratégique pour l’indépendance énergétique française. Cette affaire, à la croisée des enjeux économiques, politiques et industriels, met en lumière les débats autour de l’avenir du nucléaire et du rôle de l’État actionnaire.

Luc Rémont : un bilan sous le feu des projecteurs à EDF

Luc Rémont, ancien directeur général d’EDF, a récemment défendu son bilan dans une interview accordée au Figaro, dans un contexte marqué par des critiques acerbes et une passation de pouvoir à Bernard Fontana. Durant ses vingt-huit mois à la tête du groupe, Rémont a revendiqué une augmentation de la production électrique de 30 %, tout en assurant une baisse des prix, bien que celle-ci soit perçue différemment par certains industriels.

« Ma mission est terminée, mais cela reste pour moi la mission d’une vie », a-t-il affirmé en faisant allusion aux tensions croissantes avec l’État actionnaire. Rémont a critiqué une certaine incapacité de l’État à « concevoir le changement » et à « tenir ses engagements », ce qui selon lui a entravé les ambitions stratégiques d’EDF.

Malgré ces différends, il a souligné les efforts réalisés pour mettre en place des contrats de long terme, destinés à garantir un prix compétitif tout en préservant la viabilité économique du groupe. Cependant, les critiques sur les prix des contrats nucléaires, jugés trop élevés par certains grands industriels, restent un point de friction majeur.

Nucléaire : priorité nationale ou ambition sous-financée ?

La relance du nucléaire en France, considérée par Luc Rémont comme une priorité nationale, est toutefois marquée par un financement qu’il juge insuffisant. Selon l’ancien dirigeant, les efforts de l’État se limitent à des garanties de prix et à des prêts bonifiés, sans répondre pleinement aux besoins stratégiques du groupe pour moderniser et développer de nouveaux réacteurs.

Le choix de Bernard Fontana, actuel DG de Framatome, pour succéder à Rémont, semble indiquer une volonté de l’État de renforcer la synergie entre EDF et l’industrie nucléaire. Pourtant, Rémont déplore un manque de soutien plus direct et robuste de l’État, notamment en matière de financement à long terme.

« J’ai demandé des choses simples : un prêt d’État non bonifié et un pacte de confiance sur les prélèvements fiscaux imposés à EDF », a-t-il déclaré, exprimant sa frustration face à l’inertie institutionnelle. Pour Rémont, le nucléaire est un levier stratégique essentiel pour garantir l’indépendance énergétique de la France, mais les ambitions affichées risquent de rester des promesses sans un investissement adéquat.

Production en hausse, mais les prix de l’électricité s’enflamment

Malgré une hausse de 30 % de la production d’électricité sous le mandat de Luc Rémont, les prix de l’électricité continuent de susciter des débats enflammés. Cette contradiction met en lumière des enjeux complexes liés à la compétitivité et à la régulation des tarifs dans un contexte de forte demande.

Rémont a rappelé que les contrats de long terme proposés par EDF étaient conçus pour garantir des prix « les plus bas possibles », mais « pas à n’importe quel prix ». Cette position a toutefois été critiquée par des acteurs industriels, qui considèrent les tarifs actuels comme un frein à leur compétitivité. Le patron du groupe Saint-Gobain, notamment, a accusé EDF de faire un « bras d’honneur » à l’industrie française.

Face à ces accusations, Rémont a défendu le rôle d’EDF en tant que premier investisseur industriel en France. « Une entreprise publique n’est pas là pour faire des subventions à un petit club privé », a-t-il rétorqué, mettant en avant la mission stratégique d’EDF pour le pays plutôt que des intérêts sectoriels spécifiques.

Arenh et enchères nucléaires : une équation controversée

Le système Arenh (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique) et les enchères nucléaires instaurées par EDF restent au cœur des polémiques. Ce mécanisme oblige EDF à céder une partie de sa production à bas prix à des concurrents et grands consommateurs, ce qui, selon Rémont, a longtemps pénalisé la santé financière du groupe.

En fin 2023, des mesures ont été prises pour sortir de ce schéma jugé « mortifère ». EDF a proposé de mettre une petite partie de sa production nucléaire aux enchères, soit moins de 3 % de la production totale. Si cette initiative a été critiquée par l’exécutif, Rémont a souligné qu’il s’agissait d’une demande explicite des autorités de régulation et de concurrence.

Pour l’ancien dirigeant, ces ajustements visent à aligner EDF sur les normes juridiques en vigueur tout en renforçant sa position sur le marché européen. Toutefois, l’impact de ces ventes aux enchères sur les prix finaux de l’électricité reste une source de préoccupation pour les consommateurs et les industriels.

EDF face à l’État : Luc Rémont réclame un soutien renforcé

Dans ses déclarations, Luc Rémont a mis en lumière les tensions entre EDF et son principal actionnaire, l’État. Il a plaidé pour un soutien renforcé, notamment à travers une réduction des prélèvements imposés à l’entreprise publique, qui selon lui freinent sa capacité à investir dans des projets stratégiques.

« EDF est au cœur de l’indépendance énergétique française, mais pour remplir cette mission, l’entreprise a besoin de stabilité et de prévisibilité », a-t-il affirmé. Rémont a également insisté sur l’importance de garantir un cadre financier robuste, en demandant un prêt d’État non bonifié et une révision des mécanismes actuels qui pénalisent EDF.

Ces revendications traduisent une frustration face à l’absence de soutien suffisant pour des projets ambitieux, comme la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Pour Rémont, l’avenir d’EDF passe par un dialogue constructif avec l’État, afin de bâtir un « pacte de confiance » durable qui permettrait à l’entreprise de concilier compétitivité, innovation et mission de service public.

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