Alors que la France est souvent perçue comme un bastion des plaisirs gastronomiques et de la consommation de boissons raffinées, une tendance surprenante se dessine en 2024 : la baisse notable de la consommation d’alcools forts. Dans un contexte de changement des habitudes de vie et de prise de conscience accrue des impacts sanitaires liés à l’alcool, les chiffres révèlent une diminution marquée des achats de spiritueux. Entre défis économiques, tensions internationales et évolution culturelle, le secteur des spiritueux doit désormais s’adapter à des attentes nouvelles et complexes. Décryptage d’un phénomène en pleine mutation.
Les Français tournent le dos aux alcools forts en 2024
En 2024, une tendance notable émerge : les Français consomment moins d’alcools forts. Selon les données de la Fédération française des spiritueux (FFS), les achats de spiritueux ont diminué de 2,6 % dans divers points de vente, qu’il s’agisse de grandes surfaces, cavistes, bars ou boutiques duty-free. Cette baisse touche particulièrement les alcools à plus de 15 % d’alcool, tandis que les boissons festives comme les alcools blancs résistent davantage à ce recul.
La grande distribution enregistre une baisse marquée, avec 247 millions de litres écoulés, soit une chute de 3,8 % par rapport à l’année précédente. Les whiskys et les anisés, qui dominent les ventes en supermarchés, sont les premiers affectés. Même constat dans les cafés et restaurants, où les ventes ont diminué de 2 % pour atteindre 20,8 millions de litres.
Ce changement s’inscrit dans un contexte de modification des habitudes de consommation. Les Français semblent privilégier une approche plus réfléchie de l’alcool, délaissant progressivement les spiritueux au profit de produits plus légers ou consommés en quantité moindre.
Près de sept bouteilles par an : un chiffre qui interpelle
Malgré cette baisse globale, les chiffres de consommation demeurent élevés. En 2024, 268 millions de litres de spiritueux ont été consommés en France, représentant près de sept bouteilles par personne de plus de 19 ans. En moyenne, cela équivaut à environ cinq litres d’alcool fort par habitant sur une année. Ces chiffres, bien qu’édifiants, montrent une diminution significative par rapport aux années précédentes.
Le directeur général de la FFS, Thomas Gauthier, souligne que « tous les indicateurs sont à la baisse ». Que ce soit en matière de consommations modérées ou excessives, chez les hommes comme chez les femmes, jeunes et âgés, la tendance reste constante : les Français consomment moins de spiritueux. Cette évolution reflète un changement culturel profond, marqué par une prise de conscience des impacts sanitaires et sociaux liés à une consommation excessive d’alcool.
Cependant, cette baisse ne suffit pas à effacer l’impression laissée par le volume total consommé. Ce paradoxe illustre un secteur en mutation, pris entre l’adaptation aux nouvelles attentes des consommateurs et la nécessité de maintenir des volumes de vente importants.
Une crise économique qui secoue le secteur des spiritueux
La baisse de la consommation intérieure n’est pas le seul défi auquel le secteur des spiritueux doit faire face en 2024. La crise économique, combinée à des coûts de production en hausse et à une inflation persistante, impacte sévèrement les entreprises de cette industrie. Les ventes à l’étranger, qui constituent près de la moitié de la valeur générée par le secteur, ont également chuté, aggravant une situation déjà complexe.
Entre 2023 et 2024, les exportations de spiritueux français ont enregistré une diminution de 12 % en valeur, suivie d’une baisse de 6,5 % en volume. Les chiffres des quatre premiers mois de l’année 2024 confirment cette tendance, avec une nouvelle chute de 7,5 %. Ces données soulignent les difficultés croissantes rencontrées par les producteurs pour maintenir leur position sur les marchés internationaux.
La pression financière pousse les entreprises à revoir leurs stratégies, à réduire leurs coûts et à adapter leurs offres aux nouvelles réalités du marché. Les petites distilleries, souvent dépendantes des exportations, sont particulièrement vulnérables dans ce contexte économique tendu.
Tensions internationales : quand la Chine et les États-Unis compliquent la donne
Les relations commerciales internationales ajoutent une autre couche de complexité pour les acteurs du secteur des spiritueux. Les litiges avec des partenaires clés comme la Chine et les États-Unis ralentissent les échanges et affectent les exportations françaises. Ces tensions, combinées à des taxes douanières élevées et à des barrières non tarifaires, compliquent l’accès à des marchés essentiels pour les spiritueux français.
En particulier, les relations avec la Chine et les États-Unis sont au cœur des préoccupations. Les conflits commerciaux en cours ont conduit à des restrictions d’importation, affectant directement les ventes de produits premium tels que le cognac, le whisky ou encore le gin. De plus, l’incertitude géopolitique pousse les consommateurs étrangers à se tourner vers des produits locaux, amplifiant le déclin des exportations françaises.
Les professionnels du secteur attendent avec impatience les décisions des gouvernements concernés, espérant un apaisement des tensions pour relancer les échanges internationaux. En attendant, ils cherchent à diversifier leurs débouchés en explorant de nouveaux marchés moins saturés et plus accessibles.
Vers une consommation plus responsable, un défi pour le secteur
Face à ces nombreux défis, le secteur des spiritueux doit également répondre à une demande croissante pour une consommation plus responsable. Les consommateurs français, de plus en plus sensibilisés aux impacts de l’alcool sur la santé et l’environnement, privilégient des produits plus durables, avec une origine traçable et des procédés de production respectueux de l’écosystème.
Ce changement de mentalité pousse les entreprises à innover, en misant sur des spiritueux bio, des emballages recyclables et des campagnes de sensibilisation. Les alcools forts, souvent associés à des excès, peinent à s’adapter à cette nouvelle norme, nécessitant une refonte complète de leur image et de leur positionnement sur le marché.
Pour répondre à ces attentes, le secteur explore des alternatives telles que les cocktails faiblement alcoolisés, les spiritueux sans alcool et les options locales produites en circuit court. Bien que ces initiatives soient prometteuses, elles nécessitent des investissements importants pour répondre à une demande en pleine évolution. Ce défi pourrait bien être une opportunité de transformation, permettant au secteur des spiritueux de se réinventer et de s’aligner sur les nouvelles attentes des consommateurs.