En France, un phénomène inattendu secoue le marché du manga : les ventes dégringolent, laissant éditeurs et fans dans l’expectative. Tandis que des séries emblématiques comme Jujutsu Kaisen et My Hero Academia touchent à leur fin, l’absence de nouvelles œuvres phares plonge l’industrie dans une période de stagnation. Les grandes locomotives shônen, jadis robustes générateurs de revenus, peinent à prendre le relais. Pourtant, certains experts, comme Jérôme Manceau de Crunchyroll, demeurent optimistes, évoquant des cycles naturels de succès et de stabilisation. D’où viennent ces changements et que réserve l’avenir pour les amateurs de manga ?
Arrêt de séries phares et absence de nouveaux « triple A »
Le marché du manga en France, autrefois en pleine effervescence, traverse une période délicate marquée par l’arrêt de séries phares et l’absence de nouveaux « triple A ». Des titres emblématiques comme Jujutsu Kaisen et My Hero Academia touchent à leur fin, laissant un vide que les éditeurs peinent à combler. Cette situation est préoccupante pour les acteurs du secteur qui voient une partie de leur public se détourner, en l’absence de nouveaux blockbusters capables de prendre la relève.
En 2024, l’incertitude règne quant aux nouveautés capables de relancer la machine. Les grosses locomotives shônen actuelles, jadis sources de revenus constants, voient désormais leurs ventes stagner. Cristel Hoolans, directrice générale de Dargaud-Lombard, l’a bien résumée : « Il n’y a pas de nouveau ‘triple A’ à l’horizon ». Cette absence de nouvelles têtes d’affiche crée une dynamique d’attente et de stagnation, où lecteurs et éditeurs espèrent l’avènement d’une nouvelle série phare.
Pourtant, cette situation n’inquiète pas tout le monde. Jérôme Manceau, directeur marketing de Crunchyroll, relativise : « Le marché du manga a toujours progressé en fonction de contenus. Il y a toujours eu des grandes séries qui, à un moment donné, ont fait exploser le marché en trouvant de nouveaux publics. Puis ça se stabilise en attendant le prochain hit. » Ces propos montrent que le marché fonctionne par cycles et que l’absence actuelle de nouveaux succès retentissants pourrait bien être transitoire.
Évolution des habitudes de lecture de manga
En parallèle, les habitudes de lecture des amateurs de manga ont considérablement évolué ces dernières années, impactant directement le marché. La montée en puissance des plateformes numériques légales a facilité l’accès aux mangas, souvent traduits quelques jours après leur sortie au Japon. Ainsi, les fans préfèrent de plus en plus lire sur tablette, profitant de la commodité et de la rapidité offertes par ces technologies.
Un autre phénomène notable est l’explosion des webtoons, ces bandes dessinées numériques d’origine coréenne. Selon Eric Richard, libraire manga à Saint-Cloud, « les webtoons sont devenus très courants » et captivent une part croissante des lecteurs. Bien que ces nouveaux formats gagnent en popularité, ils n’ont pas totalement supplanté le manga physique. Il reste une part significative de lecteurs attachés à la version papier, garantissant ainsi un certain niveau de vente des mangas traditionnels.
Le confinement de 2020 a également joué un rôle crucial dans ces mutations. La consommation de contenu culturel, y compris le manga, a explosé durant cette période. Cependant, une fois les restrictions levées, certains comportements numériques ont perduré, modifiant durablement les modes de consommation des mangas. Le défi pour les éditeurs est donc d’adapter leurs stratégies de distribution et de promotion pour capter ces nouveaux usages tout en préservant les ventes physiques.
Influence des animés sur les ventes de mangas
L’influence des animés sur les ventes de mangas n’a jamais été aussi déterminante. Depuis le confinement en 2020, cette codépendance entre animés et mangas s’est encore renforcée. Le lancement d’un animé est souvent le catalyseur qui propulse les ventes du manga dont il est tiré, créant un cercle vertueux entre les deux supports.
Le succès d’un manga en France est désormais souvent lié à la diffusion de son adaptation en animé. Jérôme Manceau de Crunchyroll l’explique clairement : « Quand on lance un manga en France, on n’a pas l’assurance du succès tant que l’animé n’est pas confirmé. Mais une fois que l’animé est là, c’est une sorte de preuve du succès durable du manga. » Cette affirmation souligne la stratégie des éditeurs japonais qui n’adaptent en animé que les mangas jugés prometteurs et potentiellement durables.
Cette stratégie impacte aussi les choix des éditeurs français. La priorité est désormais accordée aux mangas ayant un potentiel d’adaptation en animé, garantissant ainsi une base solide de ventes et une audience plus large. Le phénomène se traduit par une sorte de symbiose où chaque sortie d’animé alimente les ventes de mangas, et vice versa. Cette interdépendance est un élément clé pour comprendre les dynamiques actuelles du marché et ses perspectives d’avenir.
Le pic exceptionnel de l’année 2021
Il est impossible d’analyser le marché du manga actuel sans revenir sur le pic exceptionnel de l’année 2021. Après la période difficile de 2020 marquée par la pandémie, 2021 a été une année de renaissance spectaculaire pour l’industrie du manga en France. Les chiffres de ventes ont littéralement explosé, d’autant plus comparés aux tendances précédentes.
Selon Cristel Hoolans, directrice générale de Dargaud-Lombard, « en 2021, nous réimprimions des millions d’exemplaires tous les mois. Nous devions courir après la demande, c’était colossal. » Cette explosion s’explique par une conjonction de facteurs : une nouvelle génération avide de découvertes, des titres particulièrement attractifs, et un regain d’intérêt pour la lecture de manière générale, catalysé par les confinements successifs.
Avant même 2021, l’année 2019 avait été marquante avec des ventes atteignant déjà des niveaux historiques. Le marché du manga a doublé en moins de dix ans, dépassant les 50 millions d’exemplaires vendus annuellement. Cette croissance a permis au marché de parvenir à une certaine maturité, avec une audience de plus en plus diversifiée, incluant plus de femmes et de personnes de plus de 40 ans. Toutefois, après ces années fastes, le marché semble entrer dans une phase de stabilisation, marquée par une croissance plus modérée mais durable.