En 1912, lors des Jeux Olympiques de Stockholm, une histoire aussi fascinante que mystérieuse émerge du marathon disputé sous une chaleur accablante. Sous un soleil de plomb, alors que les températures frôlent les 35°C, Shizo Kanakuri, un jeune athlète japonais de 21 ans, s’élance parmi 68 autres coureurs. Héros méconnu de cette compétition historique, Kanakuri ne franchira jamais la ligne d’arrivée ce jour-là, disparu sans laisser de trace. Sa participation ne se réduira pas à un fait divers, mais marquera le début d’une légende qui traversera les décennies, fascinant les générations et soulignant l’esprit d’endurance humaine.
Une course sous un soleil de plomb
Le 15 juin 1912, à 13h30, le Grand Stade de Stockholm en Suède est rempli de 18 000 spectateurs impatients d’assister au marathon des Jeux Olympiques, les cinquièmes de l’ère moderne. Sous un soleil de plomb, avec une température atteignant 35°C à l’ombre, 68 participants se tiennent à la ligne de départ. Parmi eux, Shizo Kanakuri, un jeune Japonais de 21 ans, se prépare à courir. Pour le Japon, c’est une première historique : c’est la première fois que le pays envoie une délégation aux Jeux Olympiques.
La chaleur est accablante, rendant la course extrêmement ardue. Sur les 68 coureurs, seule la moitié réussira à franchir la ligne d’arrivée. Les coups de chaleur et les malaises sont nombreux. Malheureusement, le Portugais Francisco Lazaro s’écroule au 30e kilomètre et décède le lendemain, victime d’hyperthermie. La course devient ainsi non seulement une épreuve de vitesse et d’endurance, mais aussi une épreuve de survie sous le soleil intense.
Un défi historique pour le Japon
La participation de Shizo Kanakuri au marathon de Stockholm est un événement marquant pour le Japon. À une époque où le pays du Soleil Levant commence tout juste à se tourner vers le monde occidental, cette participation est symbolique d’une ouverture et d’une modernisation en cours. Shizo, repéré alors qu’il était étudiant et pratiquait la course pour se rendre à l’école, a réalisé un temps exceptionnel de 2 heures 32 minutes et 30 secondes lors des qualifications universitaires, ce qui lui a valu sa sélection pour les Jeux.
Accompagné de son compatriote sprinter Yahiko Mishima et du chef de délégation, Shizo représente un Japon en pleine transformation. Malgré les défis logistiques et les différences culturelles, ces athlètes sont déterminés à faire bonne figure sur la scène internationale. La participation de Shizo Kanakuri a ainsi non seulement une importance sportive, mais également politique et culturelle pour son pays.
L’expédition épuisante de Tokyo à Stockholm
Le voyage de Tokyo à Stockholm est, en lui-même, une véritable aventure. À l’époque, parcourir les 8 000 kilomètres qui séparent les deux villes est un exploit logistique. Les deux athlètes japonais et leur chef de délégation mettent 18 jours pour rejoindre Stockholm, en empruntant le bateau et le célèbre Transsibérien. Pour financer ce périple, une souscription volontaire est lancée à travers tout le Japon, montrant ainsi l’engouement national pour cette première participation olympique.
Le voyage est éreintant. Shizo Kanakuri et ses compagnons doivent s’adapter à des conditions de voyage difficiles, et chaque arrêt est l’occasion pour eux de courir autour des gares pour maintenir leur forme physique. Néanmoins, l’épuisement se fait sentir, et il faudra cinq jours à Shizo pour se remettre entièrement, sans compter l’adaptation difficile à la nourriture suédoise. Malgré tous ces obstacles, Shizo est déterminé et prêt à courir le marathon le 15 juin 1912.
La course fatale et la disparition
Le marathon de Stockholm s’avère particulièrement éprouvant. Sous une chaleur accablante, nombreux sont les coureurs qui s’effondrent, victimes de malaise. Shizo Kanakuri résiste tant bien que mal jusqu’au 27e kilomètre. Épuisé par la chaleur et les conditions de course difficiles, il est secouru par deux spectateurs qui lui offrent un jus de fruit et un moment de repos. Malheureusement, ce repos se transforme en sommeil profond, et Shizo ne se réveille que le lendemain.
Honteux d’avoir déshonoré son pays, selon ses propres mots, Shizo décide de rentrer immédiatement. Il quitte Stockholm discrètement, sans informer les organisateurs. Les recherches engagées par la police et les organisateurs pour le retrouver restent vaines. Ce jeune marathonien japonais s’est littéralement évaporé, laissant Stockholm dans l’incompréhension et la stupéfaction.
La légende du marathonien disparu
La disparition de Shizo Kanakuri devient rapidement une légende urbaine en Suède. Les habitants le surnomment « le marathonien disparu », et son histoire reste dans les mémoires bien après la clôture des Jeux Olympiques. Pendant cinquante ans, Shizo vit sa vie au Japon, devient professeur de géographie, fonde une famille, et participe même aux Jeux Olympiques de 1920 à Anvers et de 1924 à Paris.
En 1962, un journaliste décide de percer le mystère de cette disparition et retrouve Shizo Kanakuri au Japon. Celui-ci explique alors les raisons de son abandon : une croyance répandue parmi les athlètes japonais de l’époque était que la transpiration fatiguait les coureurs, et pour éviter de transpirer, ils se déshydrataient volontairement. Cette pratique, combinée à l’épuisement dû à la chaleur, a conduit à son malaise durant le marathon.
Un retour inattendu et un record unique
En 1967, à l’âge de 76 ans, Shizo Kanakuri est invité à Stockholm pour achever son marathon commencé cinquante-cinq ans plus tôt. L’ancien marathonien accepte avec joie, reprenant la course à partir du 27e kilomètre, là où il s’était arrêté en 1912. Malgré son âge avancé, Shizo coupe la ligne d’arrivée en trottinant, symbolisant ainsi son attachement à cette discipline qu’il a tant promue au Japon.
Ce geste symbolique ne passe pas inaperçu : le Guiness Book homologue son temps comme étant le plus long marathon jamais couru. Shizo Kanakuri termine la course en 54 ans, 8 mois, 6 jours, 8 heures, 32 minutes, 20 secondes et 3 dixièmes. Cette performance unique en son genre fait de lui une véritable légende, non seulement pour son exploit, mais aussi pour sa persévérance et son amour pour la course à pied.