Dans un contexte mondial en perpétuelle évolution, l’Arabie Saoudite s’illustre par ses ambitieux projets dans le domaine de l’e-sport. En organisant la première Coupe du Monde d’e-sport, le royaume fait un pas décisif pour renforcer son soft power et moderniser son image à l’international. Cet événement phare, qui réunit des clubs du monde entier et s’accompagne de récompenses impressionnantes, s’inscrit dans une stratégie plus large visant à utiliser l’e-sport comme vecteur d’influence et de croissance économique. Découvrez comment l’Arabie Saoudite entend révolutionner le paysage de l’e-sport tout en affrontant des enjeux éthiques et économiques complexes.
Les grandes ambitions de l’Arabie Saoudite pour l’e-sport
L’Arabie Saoudite nourrit de grandes ambitions pour l’e-sport, une stratégie qui s’incarne notamment dans l’Esport World Cup (EWC). Cet événement massif, considéré comme la première coupe du monde de l’e-sport, illustre parfaitement l’approche du pays pour augmenter son influence mondiale. Organisée à Riyad, la compétition attire 30 clubs internationaux et s’étale sur deux mois, du 3 juillet au 25 août. Les récompenses atteignent une somme impressionnante de 62,5 millions de dollars.
Ces investissements massifs ne sont pas seulement financiers. Le royaume se positionne également stratégiquement en prenant des parts chez les grands éditeurs de jeux vidéo, comme Nintendo et Electronic Arts, à travers le Savvy Games Group, fondé en 2021 par le fonds souverain saoudien. Outre l’acquisition de jeux, la formation des joueurs professionnels et l’organisation de grands événements sont aussi au cœur de cette stratégie. L’objectif est clair : faire de l’e-sport une arme de soft power pour attirer touristes et investisseurs tout en modernisant l’image du pays.
Une vitrine de modernité et de jeunesse
L’Esport World Cup ne se contente pas de promouvoir l’e-sport comme un simple divertissement. Pour l’Arabie Saoudite, cet événement est une vitrine de modernité et de jeunesse. Selon Michel Desbordes, professeur de marketing du sport, c’est une forme de « country branding » visant à transformer l’image du pays en une nation high-tech et tournée vers l’avenir. Derrière cette stratégie, on retrouve la volonté de séduire une population jeune, tant au niveau national qu’international.
Depuis cinq ans, l’Arabie Saoudite investit massivement dans divers secteurs du sport, y compris le jeu vidéo. La création de jeux, la formation de joueurs professionnels et l’organisation d’événements de grande envergure sont autant d’initiatives qui symbolisent cette modernité. En s’appropriant des événements comme l’Esport World Cup, le pays cherche à s’imposer comme un acteur incontournable du secteur. Cette stratégie a également pour but de diversifier l’économie saoudienne et de réduire sa dépendance à l’industrie pétrolière.
Audience et réception
L’une des questions cruciales pour jauger le succès de l’Esport World Cup est celle de l’audience. La soirée d’ouverture a attiré en moyenne 33 000 spectateurs sur Twitch. Cependant, l’audience globale est difficile à mesurer en raison de la diffusion fragmentée sur plusieurs plateformes, telles que Twitch, YouTube, et Facebook, et des rediffusions en plusieurs langues.
Malgré ces défis, des chiffres impressionnants ressortent : le tournoi de Call of Duty Warzone a cumulé une moyenne de 75 000 spectateurs, tandis que League of Legends a attiré 566 000 spectateurs lors de la première semaine de la coupe. Ces chiffres montrent un intérêt certain pour l’événement, bien que celui-ci varie en fonction des jeux et des plateformes. Les équipes françaises, comme Vitality et Karmine Corp, ont aussi bénéficié d’une forte présence de leurs fans, soulignant l’importance de cette compétition pour les équipes engagées.
Dilemmes éthiques et boycotts
L’organisation de l’Esport World Cup en Arabie Saoudite n’est pas exempte de controverses éthiques. Le royaume est souvent critiqué pour ses violations des droits humains, notamment en matière de liberté d’expression, de droits des femmes et de peine de mort. Selon Amnesty International, ces préoccupations créent un malaise autour de la compétition. Certaines équipes, comme ExOblivione, ont choisi de boycotter l’événement à cause de ces enjeux éthiques, soulignant que leur participation aurait été en conflit avec leurs valeurs.
Ces décisions de boycott ne sont pas universelles. La majorité des équipes ont choisi de participer à l’événement, influencées par les opportunités économiques et l’exposition médiatique offertes. Pour des organisations comme Karmine Corp, le contexte économique difficile de l’e-sport et la courte durée de carrière des joueurs rendent ces compétitions presque incontournables. Toutefois, cette situation soulève de nombreuses questions sur le rôle de l’e-sport dans le « sport washing » et la manière dont les valeurs éthiques sont négociées dans ce domaine en pleine expansion.
Facteurs économiques et démographiques
L’implication de l’Arabie Saoudite dans l’e-sport est également motivée par des considérations économiques et démographiques. Avec une population très jeune, il était naturel pour le royaume de choisir l’e-sport, un secteur particulièrement suivi par la jeunesse. Cette stratégie se révèle d’autant plus pertinente que l’industrie de l’e-sport est encore marquée par une certaine précarité économique, les clubs et organisations tournant souvent à perte.
Les investissements saoudiens offrent ainsi une bouffée d’air frais à de nombreuses équipes, en leur fournissant non seulement des opportunités financièrement attractives mais aussi une plus grande visibilité. Nicolas Besombes, maître de conférences en sociologie du sport, explique que le choix de l’e-sport permet de combler une niche tout en s’adaptant à une démographie locale très favorable. C’est une stratégie gagnante pour attirer des talents et créer un écosystème économique solide, mais cela pose également des questions sur la pérennité de ces investissements et leur véritable impact sur le secteur.
Signification symbolique et plans futurs
Pour l’Arabie Saoudite, l’organisation de l’Esport World Cup revêt une grande signification symbolique. C’est une façon de marquer les esprits et de positionner le Moyen-Orient sur la carte mondiale de l’e-sport. Tout, de l’aéroport aux bus et hôtels, est aux couleurs de la compétition, créant un environnement totalement immergé dans l’événement. Cette approche vise à établir le royaume comme une destination incontournable du secteur.
Mais les ambitions saoudiennes ne s’arrêtent pas là. En juillet, le royaume a signé un partenariat avec le Comité International Olympique pour participer à la création des Jeux Olympiques de l’e-sport, avec l’espoir d’accueillir la première édition en 2025. Cela montre une vision à long terme qui va au-delà de la simple organisation d’événements ponctuels. Selon Clément Laparra de Karmine Corp, ces investissements massifs signifient que l’événement est là pour durer, même si certains espèrent voir la compétition se déplacer vers d’autres pays à l’avenir. Quoi qu’il en soit, l’Arabie Saoudite semble déterminée à transformer ses ambitions en réalités palpables, inscrivant le royaume comme un acteur central de l’e-sport international