Depuis environ dix ans, la France et de nombreux pays occidentaux connaissent un tournant majeur dans le paysage économique, marqué par la dissolution d’un modèle d’entreprise qui a dominé le secteur industriel et tertiaire, notamment pendant l’ère des « trente glorieuses ». Ce modèle, souvent décrit comme « communautaire », est représentatif d’organisations bureaucratiques imposantes, où les carrières longues et sécurisées offraient des avantages sociaux considérables, consolidant ainsi une intégration pérenne de leurs membres au sein d’une culture collective largement partagée. Parfois désignée comme « entreprise-providence », cette approche a profondément influencé le monde du travail.
Un héritage théorique
Les racines de cette conception d’entreprise peuvent être retrouvées dans l’ouvrage significatif de deux penseurs américains, le juriste Adolf Berle et l’économiste Gardiner Means. Leur livre publié en 1932, The Modern Corporation and Private Property, illustre comment les dirigeants d’entreprise ont progressivement pris le pas sur des actionnaires éparpillés. Cette évolution, souvent qualifiée de « révolution managériale », a ouvert la voie à de nouvelles structures de gouvernance, où les manageurs orchestrent les développements d’une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse.
Vers une nouvelle ère économique
John Kenneth Galbraith, un autre économiste influent, a enrichi cette réflexion dans son livre The New Industrial State, paru en 1967. Il y introduit le concept de « technostructure », qui désigne le réseau d’expertise et de techniciens qui animent les grandes industries modernes. Toutefois, ce modèle a commencé à vaciller à la fin des années 1970, lorsque le capitalisme actionnarial a pris le devant de la scène. Promu par les économistes de l’école de Chicago, tel que Milton Friedman, ce modèle simplificateur a été exposé dans son ouvrage Capitalism and Freedom.
L’ascension du capitalisme actionnarial
Avec l’émergence de ce nouveau paradigme, la théorie de l’agence a vu le jour, développée par Michael Jensen et William Meckling dans les années 1970, soulignant les conflits d’intérêts entre actionnaires et gestionnaires. Cette transformation a été consolidée par les politiques économiques de leaders comme Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis dans les années 1980, plaçant au cœur du débat économique la mondialisation et la maximisation des profits des actionnaires.
Un nouveau défi : la numérisation
Cependant, la véritable transformation est survenue au milieu des années 2010 avec l’irruption de la numérisation. Ce phénomène, porté par les grands cabinets de conseil international, redéfinit les normes d’organisation et de gestion dans le monde du travail. Les entreprises se doivent de s’adapter à des exigences de flexibilité et d’innovation constantes, bouleversant les structures établies par le modèle communautaire. C’est ainsi qu’un nouvel équilibre économique est en cours d’émergence, marquant potentiellement la fin d’une ère.
En somme, la transition entre le modèle d’entreprise communautaire et le capitalisme actionnarial, puis à l’avènement de la numérisation, témoigne d’un changement profond dans le fonctionnement des grandes organisations. Les défis à venir nécessiteront une réflexion sur l’avenir des relations de travail et des structures managériales, avec l’impératif de réconcilier efficacité économique et bien-être des employés.
Mots-clés: entreprise-providence, capitalisme actionnarial, numérisation, modèle communautaire, révolution managériale