Dans son nouvel essai Les Institutions invisibles, Pierre Rosanvallon, historien et théoricien politique, met en lumière la fragilité des démocraties contemporaines. À travers une réflexion profonde, il interroge les causes de la montée des populismes et la dégradation des liens sociaux. Cet ouvrage pose un diagnostic alarmant sur la crise de défiance qui gangrène nos sociétés, tout en proposant des pistes de réflexion sur les institutions immatérielles essentielles à la vie démocratique.
La publication de cet essai, survenue en février à Paris, témoigne d’une inquiétude croissante face aux dérives autoritaires observées dans diverses parties du monde. Rosanvallon y évoque la République de Weimar, qui, dans les années 1930, a succombé aux charmes du nazisme. Sa démarche analyse un phénomène bien plus moderne : le divorce entre la société civile et ses représentants politiques. Le concept de « mal-représentation » est particulièrement frappant. Peut-on vraiment parler d’une démocratie fonctionnelle lorsqu’une part significative de la population se sent exclue des décisions politiques ?
Les enjeux de la défiance démocratique
L’ouvrage soulève des questions importantes concernant la crise actuelle de confiance envers les institutions. Rosanvallon argumente que des facteurs tels que l’individualisme croissant et l’impact du néolibéralisme sont souvent évoqués, mais il plaide pour une analyse plus nuancée. « Nous peinons à produire du commun social et politique, et à bâtir ensemble l’avenir »
, explique-t-il. Ce constat défie l’idée souvent véhiculée d’un peuple désuni en raison de ses choix individuels.
La démocratie en déclin
Selon Rosanvallon, la véritable problématique réside dans un déclin du rendement démocratique des élections. Bien qu’elles soient cruciales pour légitimer le pouvoir et résoudre des conflits, elles ne garantissent plus l’adhésion générale des citoyens, surtout lorsque l’électorat des gagnants est en diminution. En conséquence, l’illusion d’un « permis de gouverner » s’amenuise, accentuant encore plus la fracture entre le pouvoir et la population.
Les institutions invisibles : une clé pour la coopération
Dans ce contexte de méfiance, Rosanvallon se concentre sur trois institutions invisibles : la confiance, la légitimité et l’autorité. Il met en avant le fait que ces éléments ne se limitent pas aux structures officielles ou légales, mais touchent également aux mœurs et pratiques sociales. En effet, mobilisant les idées de l’anthropologue Marcel Mauss, il souligne que ces institutions immatérielles sont essentielles à la cohésion sociale. « Les institutions ne sont pas exclusivement des choses tangibles »
, avance-t-il, permettant ainsi de repenser notre rapport aux normes sociales.
La confiance comme fondement de la collectivité
Dans un monde devenu incertain et compliqué, la confiance se révèle être un pilier fondamental des interactions sociales. Elle réduit les appréhensions relatives à l’avenir et favorise les échanges. Pour Rosanvallon, l’autorité, c’est-à-dire la capacité des leaders à incarner et guider leurs communautés, contribue également à structurer l’action collective. L’absence d’autorité peut mener à un état de désordre, tandis qu’une autorité saine évite à la fois la tyrannie et l’anarchie.
Une légitimité chargée de sens
Enfin, la légitimité, enracinée dans un soutien populaire, confère une pérennité au pouvoir. Cette dimension est essentielle pour contrer l’idée que la législation seule peut gouverner efficacement. Les institutions invisibles constituent le ciment qui relie les individus et assurent la cohésion des groupes sur la durée. Si nous ne reconnaissons pas leur importance, nous risquons de voir les démocraties dériver vers des systèmes de gouvernance plus autoritaires.
En somme, Pierre Rosanvallon nous appelle à reconsidérer la manière dont nous percevons et cultivons les fondements immatériels de la démocratie. La prise de conscience de la nécessité de restaurer la confiance, la légitimité et l’autorité pourrait être la clé pour éviter le naufrage de nos institutions.
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