Après une décennie marquée par des défis économiques et une concurrence féroce, l’emblématique enseigne de prêt-à-porter Jennyfer annonce sa liquidation judiciaire, laissant près de 999 emplois en suspens. Dix mois après une tentative de relance ambitieuse mais infructueuse, cette décision illustre les bouleversements profonds du secteur du prêt-à-porter français. Entre repositionnements stratégiques manqués et un marché de la fast-fashion en plein essor, l’enseigne n’a pas su s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs. Cet article revient sur les causes de cet échec, les répercussions sociales et économiques, ainsi que les leçons à tirer pour le futur du textile en France.
Jennyfer déclare faillite : une nouvelle icône du prêt-à-porter en chute libre
La célèbre enseigne de prêt-à-porter Jennyfer, qui habillait depuis des décennies les adolescentes et jeunes femmes, vient d’être placée en liquidation judiciaire. Cette décision marque un tournant tragique dans l’histoire d’une marque emblématique du paysage textile français. Après avoir traversé une période de redressement judiciaire en 2024, l’entreprise n’a pas réussi à redresser la barre. Selon la direction, une série de facteurs a rendu son modèle économique insoutenable : explosion des coûts, baisse du pouvoir d’achat et une concurrence internationale féroce.
Les conséquences sont lourdes. Près de 999 salariés se retrouvent dans une incertitude totale, alors que la fermeture définitive est envisagée à partir du 28 mai. Cette date sera cruciale puisqu’elle permettra d’examiner d’éventuelles offres de repreneurs. Pour les syndicats, cette situation résulte d’un manque de vigilance de la part des autorités face aux plans sociaux successifs. La CGT Services a dénoncé une annonce brutale plongeant les employés dans une précarité alarmante.
Jennyfer s’ajoute à une liste croissante de marques historiques qui n’ont pas résisté aux mutations du secteur. La disparition d’un tel acteur démontre une fois de plus les défis structurels du marché de la mode en France, entre inflation, évolutions des habitudes de consommation et montée en puissance de la fast-fashion.
Le pari perdu de « Don’t Call Me Jennyfer »
En quête de renouveau, Jennyfer avait tenté de se repositionner avec une stratégie audacieuse : changer d’identité de marque. Rebaptisée « Don’t Call Me Jennyfer », l’enseigne espérait ainsi séduire une clientèle plus large tout en modernisant son image. Cependant, ce virage stratégique s’est révélé être un échec. Moins d’un an après ce rebranding, la marque revenait à son nom d’origine en 2024, abandonnant son ambition de transformation radicale.
Cette tentative infructueuse s’est accompagnée d’un investissement initial de 15 millions d’euros et de l’arrivée d’un nouvel actionnaire, mais cela n’a pas suffi à enrayer la spirale descendante. Malgré un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la suppression de 75 postes et la volonté de préserver son ADN, Jennyfer n’a pas réussi à élargir sa cible au-delà de son cœur historique – les adolescentes âgées de 10 à 14 ans. Le directeur général, Yann Pasco, avait pourtant misé sur un repositionnement vers les 15-24 ans, mais la concurrence impitoyable de la fast-fashion, notamment des géants comme Shein, a laissé peu de place à une marque déjà fragilisée.
Cette débâcle met en lumière les risques d’un repositionnement mal préparé dans une industrie où l’innovation constante est une nécessité. À vouloir être tout pour tout le monde, Jennyfer a perdu son identité sans parvenir à conquérir un nouveau public.
Prêt-à-porter en France : une industrie en pleine tourmente
Le cas de Jennyfer n’est pas isolé. Le secteur du prêt-à-porter français traverse une crise sans précédent. De nombreuses marques, telles que Camaïeu, Kookaï ou encore San Marina, ont été durement touchées par une série de bouleversements économiques. Certaines, comme Camaïeu, ont déjà succombé, entraînant des licenciements massifs et marquant profondément le paysage social. La pandémie, suivie par une inflation galopante et la hausse des coûts des matières premières, a constitué un cocktail explosif pour les entreprises.
En parallèle, l’émergence de la fast-fashion et du marché de la seconde main a redéfini les habitudes de consommation. Les enseignes traditionnelles, souvent perçues comme moins réactives, ont peiné à s’adapter. Cette concurrence exacerbée, symbolisée par des plateformes comme Shein, a mis en lumière les faiblesses structurelles des marques historiques. L’essor de ces nouveaux modèles économiques, alliant prix bas et renouvellement rapide des collections, a profondément déstabilisé les acteurs établis.
Pour les enseignes comme Jennyfer, ces mutations ont créé un environnement économique hostile, où la marge d’erreur est inexistante. Chaque mauvaise décision ou retard dans l’adaptation stratégique peut signer l’arrêt de mort d’une marque, même pour celles bénéficiant d’une forte notoriété.
Fermeture de Jennyfer : un séisme social et économique
La fermeture de Jennyfer ne se limite pas à une simple disparition commerciale. Elle représente un véritable séisme social et économique. Avec près de 999 emplois menacés, cette liquidation judiciaire risque d’avoir des répercussions profondes, notamment dans les régions où l’enseigne était un employeur important. Pour de nombreux salariés, ce sont des années de stabilité qui s’envolent, les laissant face à un avenir incertain.
Les syndicats, dont la CGT Services, dénoncent une gestion chaotique et un manque d’anticipation de la crise. Ils pointent du doigt l’absence de soutien concret de l’État dans un secteur pourtant essentiel pour l’économie française. Les conséquences de cette fermeture s’étendront également aux fournisseurs et sous-traitants, dont l’activité dépendait en partie de l’enseigne. Ce sont donc des centaines de petites entreprises qui pourraient être impactées, aggravant le bilan économique global.
Au-delà des emplois, c’est également le tissu commercial local qui subira les effets de cette disparition. Les centres-villes, déjà fragilisés par la concurrence des zones commerciales périphériques et du commerce en ligne, perdront encore un peu de leur attractivité. Pour beaucoup, la fermeture de Jennyfer symbolise une crise plus profonde du modèle économique français dans le prêt-à-porter.
Réinventer le prêt-à-porter français pour survivre
Face à une concurrence internationale toujours plus agressive et des changements rapides dans les habitudes des consommateurs, le prêt-à-porter français doit se réinventer pour survivre. Les marques doivent repenser leurs modèles économiques, en misant sur la durabilité, l’innovation et l’ancrage local. Une alternative viable pourrait résider dans l’adoption de stratégies hybrides, mêlant présence physique et digitale, pour répondre aux attentes d’une clientèle de plus en plus connectée.
L’accent doit également être mis sur des pratiques éthiques et responsables. Les consommateurs, particulièrement les jeunes générations, privilégient désormais des vêtements durables et respectueux de l’environnement. Intégrer ces valeurs dans l’ADN des marques françaises pourrait constituer un atout différenciateur face à la fast-fashion.
Par ailleurs, le soutien des pouvoirs publics sera essentiel. Des aides à l’innovation, des mesures pour réduire les coûts d’exploitation et une régulation accrue des acteurs internationaux pourraient offrir un répit aux enseignes locales. En valorisant les savoir-faire français et en capitalisant sur des niches spécifiques, le secteur pourrait non seulement surmonter cette crise, mais aussi regagner sa compétitivité à l’échelle mondiale.