Le détroit d’Ormuz, véritable épine dorsale du commerce mondial d’hydrocarbures, se trouve au cœur d’un enjeu géopolitique complexe et fragile. Situé entre l’Iran, Oman et les Émirats arabes unis, ce passage stratégique de 39 kilomètres de large alimente les tensions internationales depuis des décennies. La récente menace de l’Iran de bloquer cette voie maritime suscite des inquiétudes grandissantes à l’échelle mondiale. Mais pourquoi ce détroit est-il si crucial ? Quels en sont les enjeux juridiques, économiques et militaires ? Cet article explore les ramifications d’un éventuel blocage et les conséquences potentielles pour l’économie globale.
Un détroit coincé entre trois États, mais qui n’appartient à personne
Le détroit d’Ormuz, situé entre l’Iran, Oman et les Émirats arabes unis, occupe une position géopolitique unique. Bien qu’il ne soit officiellement revendiqué par aucun pays, il est régi par des principes juridiques internationaux, notamment la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), également connue sous le nom de Convention de Montego Bay. Toutefois, l’application de cette convention reste limitée. Alors qu’Oman a signé et ratifié cette convention, l’Iran et les Émirats arabes unis ne l’ont pas ratifiée, compliquant ainsi les bases légales qui définissent les droits maritimes dans cette région.
En vertu du droit coutumier, les eaux territoriales du détroit sont ouvertes au « passage en transit », garantissant la navigation internationale avec des couloirs spécifiques de 3,5 kilomètres de large pour les navires. Ce cadre juridique signifie que l’Iran ne peut pas fermer unilatéralement le détroit, malgré ses affirmations récurrentes. L’influence militaire du sultanat d’Oman, renforcée par son partenariat stratégique avec les forces américano-britanniques depuis 1970, joue également un rôle crucial dans l’équilibre de la région.
Un lieu stratégique d’hydrocarbures, surtout pour les économies d’Asie
Le détroit d’Ormuz est souvent qualifié de « artère énergétique mondiale » en raison de sa fonction centrale dans le commerce international d’hydrocarbures. Environ 30 à 40 % du pétrole brut mondial y transite chaque jour, soit près de 20 millions de barils, en faisant un élément vital pour les marchés globaux. Outre le pétrole, il joue un rôle clé dans le transport de gaz naturel liquéfié (GNL), notamment celui exporté par le Qatar, qui fait transiter 80 millions de tonnes de GNL chaque année par ce détroit.
Cette importance économique est particulièrement marquée pour les pays asiatiques. Selon Paul Tourret, directeur de l’Institut Supérieur d’Économie Maritime (ISEMAR), des nations comme l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan dépendent de cette région pour 57 à 60 % de leurs importations énergétiques. Même la Chine, avec une dépendance estimée à 35 à 37 %, considère le détroit d’Ormuz comme un pivot stratégique pour sa sécurité énergétique.
L’Iran peut-il vraiment le fermer ?
Les menaces de l’Iran concernant la fermeture du détroit d’Ormuz ne sont pas nouvelles. Elles remontent à la guerre Iran-Irak (1980-1988) et ont été renouvelées à plusieurs reprises, notamment en 2011, 2019 et lors des tensions récentes avec Israël et les États-Unis. Cependant, les experts considèrent cette action comme une stratégie risquée. Selon Francis Perrin, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), un tel blocage serait pour l’Iran comparable à l’utilisation d’une « arme atomique », réservée aux situations les plus critiques.
Un blocage aurait des répercussions économiques catastrophiques pour l’Iran. En 2023, les hydrocarbures représentaient entre 35 et 50 milliards de dollars, soit environ 8,7 à 12,3 % du PIB du pays. Plus de 90 % du pétrole brut iranien passe par le détroit, et la majorité des barils sont vendus à la Chine, son principal client. Une fermeture compromettrait ces revenus et risquerait de détériorer les relations avec Pékin, un allié crucial pour Téhéran.
Des conséquences militaires et économiques
En termes militaires, l’Iran pourrait tenter de miner le détroit pour perturber la navigation, ce qui immobiliserait les forces navales américaines déployées dans le golfe Persique. Les États-Unis, qui disposent de bases militaires importantes à Bahreïn et y déploient régulièrement des porte-avions, seraient contraints de réagir à une telle provocation. D’autres pays dépendant fortement du détroit, tels que l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar et les Émirats arabes unis, pourraient également prendre des mesures contre l’Iran.
Sur le plan économique, un blocage entraînerait une hausse dramatique des prix du pétrole. Jorge Leon, analyste géopolitique chez Rystad, estime que les prix pourraient augmenter de 20 dollars le baril ou davantage, provoquant une instabilité sur les marchés mondiaux. Les répercussions seraient ressenties à l’échelle mondiale, notamment par les consommateurs, à travers une augmentation des prix à la pompe.